Ananka Laudun

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Interview Eve Beranger - Les enfants de Bamako

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 Eve avec le maire de Kalaban Coro, Issa Bocar Ballo

 

Eve, après ces 15 jours passés au Mali où tu allais faire le point sur ton projet Zakari, Hôpital Zakari mères-enfants (pré et post natal), peux-tu nous dire où tu en es de tes démarches?

Je dois dire qu’après 4 ans d’engagement, ces 2 semaines passées là-bas en fin d’année ont permis d’aller encore plus loin. Je crois que cette fois-ci les portes se sont enfin ouvertes.

J’ai rencontré plusieurs personnalités importantes : la chef de cabinet de la première dame, Madame Sidibe Adama Traore, le maire principal de Kalaban Coro, Monsieur Issa Bocar Ballo. Tous deux ont été séduits par le projet.

En particulier, le maire qui a accepté de nous allouer un terrain. C’est une parcelle importante. Il faut savoir qu’au Mali à Bamako et environs, il n’y a plus de terrain disponible. Toutes les parcelles font habituellement 10 par 12 m2 et là il restait à Kabala, commune surpeuplée, deux parcelles conjointes de 16 par 25 m2 initialement affectées à un projet d’école. Les terrains sont déjà électrifiés et bénéficient du foncier. Dans cette région de Kabala, région en pleine expansion, il n’y a aucune structure médicale et l'emplacement est certainement le lieu le plus judicieux pour cette construction.

 

Le maire m’a d'ailleurs beaucoup amusée lorsqu’il m’a dit que dès l'ouverture du centre Zakari, il y aura tellement de monde « que même pas tu te trouveras ».

 

Je garde aussi un beau souvenir de ma rencontre avec la chef de cabinet de la première dame qui m’a reçue le dimanche après-midi chez elle. Elle a dit qu’elle était prête à nous aider. Je dois lui faire passer tout le dossier, nous travaillons sur la nouvelle plaquette, et tout lui sera adressé dès que notre nouveau dossier sera complet.

 

Le projet s’appelle Zakari peux-tu nous préciser pourquoi et quel en est sa genèse ?

Je dis toujours que je n’aurai jamais du mettre les pieds au Mali car on ne rentre pas indemne de ce type de voyage. La misère est partout. Les femmes accouchent dans des conditions précaires souvent sur une paillasse. Les enfants meurent souvent faute de soins lorsque les parents n’ont pas 1.5 € pour les amener chez le médecin ou à l’hôpital.

On a eu malheureusement cette mauvaise expérience dans la famille de mon compagnon Abdoulaye au Mali. Au retour de notre premier voyage, nous ne savons pas pour quelles raisons, certainement faute de soins car toujours trop tard pour aller consulter, on a perdu un petit garçon dans notre famille. Il s’appelait Zakari. On a spontanément souhaité appeler ce beau projet de cette manière.

Et je me dis que même si c’est une goutte dans la mer, je veux consacrer le reste de ma vie à voir naître cet hôpital, se dire que des femmes accoucheront enfin dans la dignité et avec moins de souffrance. Beaucoup de bébés ne mourront plus faute de soins.

L'hôpital qui génèrera un grand nombre d'actes et de consultations pourra prendre en charge les plus défavorisés,

 

Quelles sont les personnes que tu as autour de toi pour porter le projet ?

Si j’ai été un peu seule pendant 4 ans, comme les portes se sont ouvertes cette année au Mali, elles se sont ouvertes en France aussi. Et je me rends compte que finalement autour de moi j’ai beaucoup de personnes qui soutiennent le projet,

Toi déjà ! Avec cet article c'est une belle aide, car la communication est toujours difficile à faire.

Et d’autres personnes de l’association Ananka de Laudun : Babette qui s’est proposée de rentrer au bureau. La secrétaire de ma société qui s’investit également dans le bureau. Une comptable qui est trésorière. Mon expert-comptable qui s’est rallié aussi. Et beaucoup de personnes qui se sont manifestées pour aider sur les évènements notamment les danseuses d'Ananka. Ce qui fait que finalement de voir tous ces bénévoles, ça me fait chaud au cœur et le moral est revenu au beau fixe. Cela me console des aléas que le projet a connus au cours de ces dernières années et me redonne de l’énergie.

 

Eve tu es présidente de l’association « les enfants de Bamako » qui porte le projet, quel est ton relais sur place au Mali ?

Ce projet il est avant tout pour les africains. Il faut donc qu’ils soient investis.

Je remercie en tout premier lieu Abdoulaye mon ami, car sans lui le projet n’aurait pas été possible. Quand je suis au Mali il m’accompagne à tous mes rendez-vous, il attend la journée entière. Je tiens vraiment à le remercier très sincèrement. Il aime profondément l'Afrique et je suis heureuse si je peux faire quelque chose pour son beau pays,

En plus j’avais rencontré il y a 3 ans une malienne Aminata Traore par l’intermédiaire d’une amie médecin gynécologue Annabeth (que je remercie encore et encore pour cette rencontre). Aminata c'est une grande personnalité et un vrai soleil. Elle a accepté d’être vice-présidente de l’association. C’est une personne de grand cœur et elle est totalement investie dans le projet. Elle n’a pas qu’un rôle de représentation, elle prend des contacts utiles pour la réalisation concrète des démarches. On travaille conjointement. On communique beaucoup par mails le reste de l’année.

Je suis heureuse d’avoir pu retourner cette année physiquement au Mali. L’an dernier nous n’avions pas pu y aller du fait du risque Ebola (je ne voulais pas ramener la maladie en France). Bon cette année, mon entourage s’inquiétait pour ma sécurité mais tu vois ma sécurité ne me fait pas peur. Je n’abandonnerai pas le projet même par rapport à ma sécurité.

 

De toute façon, je ne crois pas que ma vie serait accomplie si je ne réalise pas ce projet. J’en suis là aujourd’hui. Je n’arrive pas à ne pas penser à eux. Tous ces enfants. Quand on arrive là-bas c’est ce qui frappe. Ces regards, ces visages tournés vers nous. C’est intense. Beaucoup d’émotions.

D’ailleurs, depuis que je suis rentrée je crois que c’est la première nuit où j’ai le sentiment d’avoir atterri. On a tellement d’images, d’odeurs que quand tu reviens tu as du mal à oublier les images. Elles te hantent.

Au Mali, tu laisses de côté tes préjugés et tu t’adaptes aussi à leur mode de vie. Tu passes outre certaines situations dans la mesure où ils n’ont même pas l'argent pour se soigner.

 

Chaque fois que nous pouvons le faire nous essayons de les aider en leur donnant la possibilité de subvenir à leurs besoins. Cette année je suis partie avec beaucoup de choses dont des stylos que j’avais achetés à l’association de ma sœur en faveur du Népal. Finalement tout ce stock je l’ai donné à une cousine pour qu’elle puisse le vendre et installer un poulailler. L’objectif à terme : quand elle aura construit son poulailler avec l'argent des stylos, lui envoyer l'argent pour acheter un coq et dix poules ce qui lui permettra de créer un petit commerce de vente de poulets.

Abdoulaye a fait construire un abri pour qu'un de ses protégés puisse améliorer son petit garage de réparation de scooters.

On essaie de les rendre autonomes économiquement. Au Mali, il n’y a que le petit commerce qui est accessible et qui fait partie de la culture. Tu as besoin d’une cravate, une tong, un kleenex, tu as le petit vendeur qui passe dans les rues et qui a justement ce dont tu as besoin. De la même manière tu as des petits services : le couturier qui passe à vélo, les repasseurs de linge. Ah oui au Mali ce sont les hommes qui repassent ! Et puis à l’ancienne ! Avec le fer dans la braise. Même si les familles n’ont pas beaucoup d’argent, elles donnent un peu de travail pour ces petits services pour que les personnes puissent vivre.

 

Si on revient au projet Zakari, que te manque-t-il cette année pour achever son lancement en 2016 ?

Si on a enfin les portes ouvertes, un terrain identifié, les différents soutiens, l’engagement du maire de s’occuper de l’ensemble des démarches administratives, il manque maintenant la première pierre structurante : trouver les 20 000 € qui permettent d’acheter le terrain. J’ai donc 3 mois pour trouver cette somme. Je fais appel à la générosité de tout le monde, amis, famille, connaissances pour relever ce challenge.

Pour les subventions c’est trop tard car c’est souvent pour l’année qui suit. Deux possibilités sont ouvertes pour s’associer au projet. La première bien sûr un don direct pour l’achat du terrain ; la deuxième se porter adhérent à l’association en versant 10 € par mois. Cela pourrait permettre de donner des garanties pour les banques si nous devons engager un prêt bancaire. Nous allons essayer de mettre en place un prêt participatif sur internet pour faciliter la communication et les dons.

 

As-tu prévu des évènements en 2016 en soutien des actions de l’association ?

Cette année trois grandes animations. Un vide grenier au mois d’avril (16 avril), un grand concert  le 18 juin et un méga loto au mois d’octobre. Chaque année on organise ce type d’animations. Toutes les dates et précisions sont sur le site internet de l’association : www.lesenfantsdebamako.com Nous avons cette année des supports précieux comme la communauté d’agglomération de Bagnols sur Cèze qui nous finance tous les supports de communication pour ces 3 animations. Ce qui est souvent un très gros budget pour nous.

Lors de notre deuxième voyage, nous avions déjà trouvé un terrain à Sabalibougou qu’il fallait payer avant le 31.12.2014, il devait être financé par la soirée concert d'octobre 2014 et malheureusement avec les risques d’inondations dans la région, la préfecture avait annulé le concert. Ce qui fait que nous avions perdu le terrain faute de trésorerie suffisante.

 

Mais peut-être que finalement dans ce malheur c’est une chance. Parce que le terrain que nous avions était beaucoup moins bien (plus petit) et avec un emplacement  moins bien situé. En plus cette fois-ci le maire nous a dit qu’il se chargeait de nous aider dans toutes les formalités : permis de construire  etc. Donc c’est facilitant pour la réussite de l’installation du projet.

 

Tu disais tout à l’heure que tu n’aurais jamais du mettre les pieds au Mali car on n’en sort pas indemne. A l’inverse, que t'apporte l’Afrique ?

L’Afrique, elle t’apporte tout et elle te prend tout. En plus je n’ai peut-être pas choisi le bon pays car le Mali c’est très dur. Il n’y a pas la mer. (Je plaisante!!)

Nous sommes dans les petits villages sans commodités : un robinet dans la cour, de l’électricité pour juste un peu de lumière, mais pas de frigo, donc pas d'eau fraîche et Dieu sait s'il fait chaud... Une vie un peu dure pour les européens.

Et souvent je me suis posée cette question : mais qu’est-ce que tu fais là ? Et tu te rends compte que lorsque tu rentres en France, tu ne penses qu’à une chose c’est y retourner. C’est dans le cœur, dans la terre, dans le ventre... Indescriptible et inexplicable. La population est attachante. Ils sont extraordinaires. Ils ont le sens du partage qui n’existe plus chez nous. Là-bas tu ne verras pas un SDF, une personne qui meurt de faim. Comme la misère frappe tout le monde, même s’ils n’ont pas grand-chose, tous les jours ils préparent un repas de plus pour que quelqu’un de plus nécessiteux qu’eux en profite. C’est tout le temps l’entraide. C’est énorme et c'est ça que j'aime !

 

Sur le site internet, des photos sont disponibles sur tes séjours précédents où l’on voit des médecins, des spécialistes, peux-tu nous parler du support de l’équipe médicale ?

On travaille avec une équipe médicale qui est à l’endroit initial où nous devions faire le projet. Il y a une toute petite maternité à qui j’apporte dès que j’y vais des médicaments. D’ailleurs pour l’anecdote, un vieux monsieur a pu guérir pendant mon séjour grâce aux médicaments que j’avais dans ma valise. Ce médecin Famady Keita qui tient cette petite maternité à Sabalibougou participe au projet avec son équipe. Je le remercie vivement car c'est grâce à lui si j'ai pu rencontrer le maire.

Et même si maintenant nous avons laissé le terrain à Sabalibougou pour installer le projet à Kabala, nous continuerons à aider cette équipe sur place qui assure à la fois les missions de maternité et de centre anti paludéen. Nous n'abandonnerons pas cette population très chère à Famady. Sans notre aide, elle ne disposerait plus de structure de santé et serait totalement dépourvue de soins même dans l'urgence.

Nous avons aussi un ami médecin gynécologue, Alpha Kone. Il navigue entre le Mali et la France. Son rêve serait de rejoindre le centre Zakari avec toute son expérience et expertise acquise en France. J’ai aussi beaucoup d’amis dans le médical (mon fils est médecin) qui se sont proposés sur leur congé, pendant leur retraite de donner du temps au profit du centre pour le faire vivre. Ma sœur qui est cadre infirmier nous aidera à installer toute la programmation et l’organisation des soins.

 

J’ai également découvert dans un article un mot que j’ai trouvé très gai mais que je ne connaissais pas. C’est soroptimiste. C'est quoi exactement? 

En fait j’ai eu la chance de rencontrer Aminata Traore, ma vice-présidente actuelle, par l’intermédiaire d’une amie gynécologue suisse. Elles sont toutes les deux soroptimistes. Elles sont 40 000 dans le Monde et elles se réunissent chaque année dans un pays. On peut les comparer au Rotary mais pour des femmes. Ce sont souvent des femmes qui travaillent et portent des projets centrés sur la relation mère-enfant. Le projet Zakari pourrait donc intéresser à terme cette association de femmes soroptimistes. Quand je suis allée rencontrer en décembre la secrétaire de la première dame, il se trouve aussi qu’elle fait partie de ce réseau d’influence et d’actions des femmes.

 

Janvier c’est la période des vœux. Quel vœu formulerais-tu cette année d’une part pour toi et puis pour le projet ?

Déjà la santé pour tous. Je me rends compte que c’est ce qu’il y a de plus merveilleux. Je suis d’autant plus concernée en ce moment avec la maladie de ma maman. Le vœu le plus cher… moi je n’ai besoin de rien. On a besoin de ces 20 000 € pour l'achat du terrain. Donc en tout premier vœu : que ma maman guérisse et qu’on nous aide à trouver cet argent pour acheter le terrain !

 

Eve, tu fais partie des danseuses Ananka. Peux-tu nous livrer quelques mots sur cette expérience de danse africaine ?

Comme j’amène Abdoulaye chaque semaine au cours de danse, il accompagne musicalement les cours, je me suis donc mise à la danse. Ce que j’aime c’est l’état d’esprit de Sophie. L’ambiance et l’énergie du groupe sont formidables car c’est elle qui crée cette alchimie. J’aime beaucoup. Le cours est pour moi un peu difficile car déjà j'arrive exténuée avec mon travail et du coup c’est chaud ! En plus il n’y a que des jeunes. Dur dur.

 

Eve as-tu un dernier souvenir coup de cœur à nous faire partager sur ton séjour au Mali ?

Oui le grin ! Le grin c’est le moment où on partage le thé. C’est toute la journée, le grin s'improvise partout. En plus, tu as des grins spéciaux avec les maçons, les vendeurs, les musiciens, les repasseurs...

C’est du thé vert. On boit le thé pour trois heures : le premier verre est fort et amer comme la mort, le second plus sucré est plus doux comme la vie, le troisième encore plus sucré comme l’amour.

Le soir il y a un moment plus particulier mais globalement c’est toute la journée. Moi j’aimais bien ces moments où l'on se regroupe pour parler du pays et rire ensemble. Normalement au Mali les femmes ne participent pas forcément aux grins. L'avantage d'être blanche, même si en inconvénient les moustiques nous voient de loin, c'est d'être bien acceptée au grin. Seule blanche dans tout le quartier de Lafiabougou où je réside,  je suis tellement bien intégrée que je n'ai pas l'impression d'être de couleur différente. Je me sens « africaine ».

 

Et puis je garde en tête l'image du matin quand je vais acheter le pain. Tous ces enfants autour de moi. Le bonheur de pouvoir acheter le pain pour tous les voisins et de rentrer à la maison en distribuant toutes ces petites choses deci delà. De véritables trésors. Voilà vraiment c’est çà l’Afrique que je voudrais vous faire partager.

 

Merci Eve pour toutes ces confidences. Nous te souhaitons une pleine réussite dans ce challenge et rappelons à nos lecteurs que le défi collectif peut être relevé. Rendez-vous sur le site internet www.lesenfantsdebamako.com pour apporter votre contribution.

 

Elisabeth Freund-Cazaubon, reporter Ananka.

 

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14/01/2016
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